Dans mon premier post j’ai proposé que la différence fondamentale entre les approches bibliques complémentarienne et égalitarienne est au niveau du point de départ (textes qui semblent indiscutables) et du point de référence (la création ou la nouvelle création). Dans ce post je faisais la remarque suivante : « Le choix du point de départ et du point de référence n’est pas déterminé par notre herméneutique. Ces points de départ sont quasiment des axiomes, des présupposés, des partis pris. À y regarder de plus près ils dépendent en réalité de notre système théologique ». On peut observer qu’alors que les complémentariens ont comme point de départ des textes comme 1 Timothée 2 et 1 Corinthiens 14, et comme point de référence la création, les égalitariens de leur côté ont comme point de départ des textes comme Actes 2 et 1 Corinthiens 11, et comme point de référence la nouvelle création. Quel est le meilleur fondement biblique du ministère pastoral féminin ?
Je voudrais ici considérer une troisième option, moins souvent retenus comme point de départ et point de référence. Cette option me semble en réalité indispensable théologiquement dans une approche réellement christocentrique de l’Écriture et de la foi. Dans une conception anabaptiste (la tradition dont je me sens le plus proche, sans appartenir moi-même à une Église anabaptiste) toute notre vie, toute notre théologie doit partir de Christ. Tous les évangéliques en conviendraient en principe, mais dans la réalité tant vécue que confessée, le point de départ est plus souvent Paul que Jésus ! Et de Jésus, on ne retient que la mort et la résurrection. La préoccupation sotériologique fait généralement passer par pertes et fracas la vie de Jésus. En mettant l’accent sur « la suivance » du Christ, la vie de disciple à la suite du maître, la tradition anabaptiste me semble remettre dans le bon ordre notre approche herméneutique du sujet.
Qu’observe-t-on lorsqu’on considère que Jésus doit être notre point de départ (les évangiles et non les épîtres de Paul) et notre point de référence (la venue du royaume en sa personne et non l’ordre de la création) ? Sommes-nous sur un terrain plus ferme à partir duquel il est possible de mettre en mouvement le reste de notre réflexion ?
« Donne-moi où je puisse me tenir ferme et j’ébranlerai la terre ».
Attribué à Archimède
Dans les évangiles, nous voyons que des femmes ont :
Annoncé la bonne nouvelle de sa naissance (Anne - Luc 2),
Proclamé sa messianité dans leur village (LA FEMME Samaritaine - Jean 4),
Annoncé symboliquement sa mort (Marie de Béthanie - Jean 12.1 à 8),
Reçu l’enseignement réservé aux seuls disciples (Marie de Béthanie et les autres femmes - Luc 24.6 à 8),
Été présentes fidèlement auprès de Jésus jusqu’à la croix
Annoncé les premières sa résurrection (Marie de Magdala, Marie mère de Jacques, Jeanne, Salomé et d’autres),
Confessé qu’il était le Christ, le Fils de Dieu (Marthe - Jean 11.27),
Témoigné publiquement de ce que Jésus avait fait pour elles (la femme atteinte d’une perte de sang - Marc 4.25 à 34),
Attendu la promesse du Père, reçu l’Esprit, et ont eu la langue libérée pour parler des grandes choses que Dieu avait faites (Lic 24.49 - Actes 2).
L’attitude de Jésus vis-à-vis des femmes est notoirement positive :
Jésus a loué la foi extraordinaire d’une femme (Mt 15.21-28).
Jésus a accueilli des femmes parmi ses disciples et a même souligné que celle qui donnait une priorité à cela plutôt qu’aux obligations domestiques avait choisi la meilleure part (Lc 10.42).
Jésus a pris la défense de Marie lorsque les disciples la critiquaient pour n’avoir pas fait les choses comme eux les auraient faites (Jean 11,7).
Jésus a critiqué les scribes qui utilisaient la loi de Moïse pour écarter leur femme et leur a rappelé l’unité foncière du couple.
Jésus, plein de compassion, a guéri des femmes et ressuscité le fils d’une veuve (Lc 7.11-17).
Jésus a parlé avec des femmes à la grande surprise de ses disciples, et c’était selon lui, une véritable nourriture spirituelle (Jean 4).
Jésus a pris soin de confier sa mère à un de ses disciples au moment de sa mort (Jn 19.26-27).
Jésus avait une relation très proche avec plusieurs femmes (notamment Marie et Marthe) (Jean 11).
Jésus a laissé les femmes qui l’accompagnaient l’assister de leurs biens (Lc 8.1-3).
Notons encore que dans les évangiles, deux femmes auront une place particulière tout au long des générations. Marie, mère de Jésus, sera dite « Bienheureuse » par toutes les générations à cause de ce que le seigneur a fait pour elle. Et Jésus annonce qu’on se souviendra de Marie de Béthanie dans la proclamation de l’Évangile à cause de ce qu’elle a fait pour lui.
En considérant ces éléments, il apparaît que le tableau que nous laissent les évangiles est très favorable à la place des femmes dans la communauté des disciples et à leur prise de Parole pour la proclamation de la bonne nouvelle.
Un élément, toutefois, semble poser question : Jésus a choisi 12 hommes pour être ses apôtres. Même si on pourrait d’emblée souligner que le texte biblique ne relève pas explicitement ce fait comme étant significatif, les complémentariens y voient un élément devant être pris en considération.
La question à laquelle nous faisons face ici est double. D’une part, la question est de savoir a) s’il y a une signification à cet état de fait et b) d’autre part, si cette éventuelle signification a une implication au-delà des douze.
a. Pour la première question, deux possibilités s’offrent à nous.
On peut considérer que Jésus avait tout à fait la possibilité de choisir des femmes parmi ses apôtres. Il aurait choisi délibérément de ne pas appeler de femmes à l’apostolat. Cet état de fait serait donc porteur de sens : seuls des hommes pouvaient être apôtres, et les femmes, parce que femmes, ne pouvaient l’être. Au moins un rôle au sein de la communauté des disciples leur serait interdit par Christ lui-même. Il n’est donc pas impossible que d’autres rôles puissent leur être interdits.
On peut en revanche considérer que dans la culture juive du premier siècle la question ne se posait pas. Jésus a choisi des hommes par ce que c’était ce qu’il fallait faire pour établir sa nouvelle communauté dans ce contexte-là. Si Jésus avait vécu au 20e siècle, il aurait probablement inclus des femmes parmi les apôtres. Cependant, au premier siècle, cette possibilité n’était culturellement pas une option possible. Le fait que Jésus ait fait de nombreuses choses qui le démarquaient de son époque ne signifie pas qu’il vivait affranchi de toute contrainte culturelle, symbolique et pratique. Jésus était réellement un être humain et à ce titre soumis aux contraintes de son époque.
Dans cette perspective, le sexe de ses apôtres n’a donc pas de portée particulière pour l’Église.
b. Au-delà des douze ?
Il faut se rappeler que Jésus n’a pas établi que « seuls des hommes pouvaient être apôtres ». Jésus a « choisi 12 hommes comme apôtres », ce qui n’est pas la même chose ! Quelle que soit la réponse qu’on donne à la première question (a), seuls les douze apôtres sont concernés. Les protestants sont en général plus que critique envers toute idée de succession apostolique telle que le comprennent les catholiques. Les apôtres ont un rôle de fondement, leur ministère est unique et n’a pas à être perpétué. Les ministères qui sont ensuite établis dans l’Église sont d’une autre nature. Ce fondement ayant été posé une fois pour toutes, le choix de Jésus de mettre à part 12 hommes, s’il devait être reconnu comme significatif, n’aurait pas d’implication automatique pour d’autres rôles dans l’Église. On ne pourrait rien affirmer de plus que : « Jésus a choisi volontairement des hommes pour le rôle de fondement de son Église, et cela ne pouvait pas être des femmes ».
La charge de la preuve est sur les épaules de ceux qui veulent, à partir de l’exemple des apôtres, étendre à d’autres ministères la nécessité de choisir parmi des hommes. On notera d’ailleurs que le ministère le plus directement en ligne avec celui des douze, le ministère d’apôtre dans un sens second (1), compte parmi ses membres remarquables… une femme : Junia (Ro 16) !
Avons-nous un terrain plus solide pour point de départ de notre herméneutique ?
Oui… et non !
Oui, car en affirmant que Jésus doit être notre point de départ (les évangiles et non les épîtres de Paul) et notre point de référence (la venue du royaume en sa personne et non l’ordre de la création) nous voyons que Jésus n’a fait aucune distinction (qui soit en dehors des conventions de son époque) entre les hommes et les femmes. Tous et toutes sont appelés à faire partie de ce peuple nouveau et à annoncer la bonne nouvelle du royaume de Dieu. À chaque étape de la vie et du ministère de Jésus des femmes ont pris la parole pour rendre témoignage à sa vie et à son œuvre.
Non, car demeure un point de contention : la portée du fait que les douze apôtres étaient des hommes. Les complémentariens retiendront cet aspect, même si nous avons vu précédemment que la charge de la preuve a) que la masculinité des apôtres a un sens particulier, et que b) ce sens a des conséquences au-delà des seuls apôtres, leur revient. Vaste chantier…
Patrice A.
Notes :
(1) L’utilisation du terme apôtre semble être plus large chez Paul. À côté de l’apostolat unique des douze avec à leur tête Pierre, il y a les autres apôtres (1 Corinthiens 15:3-7) auxquels Christ est aussi apparu. Au-delà de ce deuxième cercle d’apôtres d’autres, hommes ou femmes, peuvent porter ce titre. Ce sont des envoyés d’Églises, (2 Corinthiens 8:23 et Philippiens 2:25) des collaborateurs de Paul ou des prédicateurs itinérants.
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