Suite - Les différentes formes d'autorité d'ans l'Eglise
On peut classer ces différentes formes d’autorité au moins de deux manières : selon la source de cette autorité ou selon le but de cette autorité.
Si on considère la source de l’autorité :
1. L’autorité peut être déléguée :
Pour une tâche ou une fonction (ancien, diacre…), l'Eglise va déléguer à une personne une certaine autorité afin qu'elle accomplisse cette tâche ou remplisse efficacement cette fonction. La source de ce type d’autorité repose sur une autorité supérieure. Nous rejoignons ici le modèle hiérarchique évoqué précédemment avec le centenier romain venu demander à Jésus de guérir son serviteur. « Car, moi qui suis soumis à des supérieurs, j'ai des soldats sous mes ordres ; et je dis à l'un : Va ! et il va ; à l'autre : Viens ! et il vient ; et à mon serviteur : Fais cela ! et il le fait (Matthieu 8:9). » Ce centenier est inséré dans une chaîne d’autorité où chacun tire sa légitimité de son supérieur et lui est soumis en même temps qu’il a autorité sur ses subordonnés.
Cette notion de délégation souligne paradoxalement le fait que l’assemblée est le premier relais de l’autorité du Christ.[1] Alors que le livre des actes nous apprend que Paul avait institué des anciens dans chaque Eglise lors de son premier voyage missionnaire (Actes 14:23), qu'il s'agisse de questions de doctrine ou de comportement, l'apôtre ne fait pas appel à eux dans ses lettres. Celles-ci sont d’ailleurs toujours adressées aux Eglises (pour la lettre aux Philippiens les évêques et les diacres sont mentionnés, mais après la salutation à l’ensemble de l’Eglise). L'Eglise de Corinthe connaissait des divisions, de l'immoralité, des procès entre membres, du désordre lors des assemblées, et jamais Paul ne fait appel aux anciens, évêques ou quelque autre responsable pour régler ces choses. La procédure d'excommunication de l’incestueux (1 Corinthiens 5) bien qu’engagée par Paul est ratifiée par l'assemblée. L’apôtre en appelle à un homme sage, non aux anciens pour régler une affaire entre frères. C'est toujours l'Eglise en tant que corps qui est interpellée. Ainsi les chrétiens doivent se reprendre les uns les autres, s'exhorter les uns les autres, se supporter les uns les autres, se pardonner réciproquement. A Philippes, Evodie et Syntyche sont exhortées à se réconcilier et l’apôtre demande à ce sujet l'aide d'une troisième personne dont on ne sait rien des responsabilités. C’est une réalité que l’Eglise doit prendre en compte dans son fonctionnement et son organisation. Cela implique aussi de la part des membres une plus grande responsabilisation. Ils n’ont pas à attendre du pasteur, des anciens la résolution de tous les problèmes. Même individuellement les membres n’ont pas à se défausser sur les responsables pour régler certaines situations dont ils ont connaissance et pour lesquelles la parole les appelle à agir en chrétiens spirituels (Galates 6:1).
La délégation implique aussi que celui qui reçoit une autorité pour un ministère doit rendre des comptes. D’une manière générale l’assemblée doit avoir un certain contrôle sur l’exercice des ministères en son sein, y compris ceux des responsables, sans toutefois entraver leur marge de manœuvre. Il faut que ceux qui dirigent puissent diriger, ceux qui exhortent exhorter… Il serait bon de réfléchir à la manière dont les responsables d’Eglise rendent concrètement compte de leur ministère.
2. L’autorité peut être charismatique :
C’est l'autorité que le Seigneur donne avec les dons spirituels pour que nous puissions les exercer. Chacun dans l'exercice de son don spirituel a une mesure d'autorité qui lui vient de Dieu. Cette autorité a trait à la fois à l’efficacité du don (la guérison effectivement opérée par celui qui a reçu ce don) et à sa reconnaissance par ceux qui en bénéficient (elle découle de l’efficacité manifeste du don). L’autorité charismatique et l’autorité déléguée devraient aller ensemble. L’assemblée discerne le don du Seigneur et délègue à la personne la responsabilité d’un ministère correspondant. Toutefois l’autorité peut-être déléguée pour une tâche ne nécessitant pas un don spirituel particulier, et un don spirituel peut s’exercer sans qu’il y ait obligatoirement un cadre formel nécessitant une reconnaissance de la part de l’assemblée (un don exercé très épisodiquement par exemple). Mais il convient de ne pas déléguer des tâches à des personnes n’ayant pas, sinon le charisme, au moins la compétence nécessaire. De même ne pas reconnaître officiellement certains charismes peut être dommageable pour l’Eglise et pour les personnes qui les exercent.
Cette dimension charismatique de l’autorité nous introduit aussi dans une différence cruciale entre l’Eglise du Nouveau Testament et celle de notre époque. Le charisme et le ministère d’apôtre (au sens fort) par exemple n’existent plus. L’autorité qui reposait sur ces hommes autrefois ne repose sur aucun ministère comparable aujourd’hui. « Pour nous il n'y a pas de succession apostolique, mais le témoignage apostolique nous est conservé au moyen des textes du Nouveau Testament. L'autorité du Christ sur son Eglise est alors médiatisée par la Parole et par l'Esprit. La Bible fonctionne comme l'autorité objective, extérieure, et l'Esprit travaille au niveau de l'intériorité. Mais contre toute dérive illuministe, il faut affirmer que la Parole et l'Esprit sont liés. Ainsi, il n'y a plus, de nos jours, d'apôtres au sens fort. »[2] L’autorité charismatique, comme les autres formes d’autorité d’ailleurs, doit être régulée par la norme de l’Ecriture. Si cette régulation doit se faire pour toutes les formes d’autorité, la fascination que peuvent engendrer certains charismes la rend particulièrement nécessaire !
3. L’autorité peut être spirituelle :
Les deux premiers types d’autorité ne manquent pas de spiritualité bien sûr, mais ce que je vise ici (faute d'avoir trouvé une meilleure appellation) c'est l'autorité personnelle de tout enfant du Seigneur, autorité qui croît avec sa maturité spirituelle. « Celui ou celle qui grandit au contact de quelqu'un lui reconnaît spontanément une autorité. »[3] C’est la reconnaissance de la présence et de l’action de Christ dans et à travers un frère, une sœur. Par sa sagesse, son discernement, son expérience, son écoute de Dieu et des autres, cette personne exerce une autorité spirituelle envers ceux qui la côtoient. La soumission à cette autorité est plus subjective, plus personnelle. Que quelqu’un accorde une autorité spirituelle à une personne qui a eu depuis des années une influence positive sur sa vie ne signifie pas qu’il en sera de même pour tous les autres chrétiens qui côtoient pourtant cette même personne.
Cette dimension doit se rajouter aux deux précédentes dans l’exercice du ministère des responsables. Ils exercent leur ministère par délégation et selon leur charisme, mais aussi avec une autorité spirituelle et personnelle. Ils sont mis en question personnellement dans l’exercice de leur ministère. C’est aussi pourquoi « le responsable doit prendre ses responsabilités devant Dieu […] et accepter de les assumer, sans se réfugier derrière une certaine autorité pastorale ou prophétique. »[4]
Dans ces trois types d’autorité la source ultime est toujours Christ ; Christ est la tête de l’Eglise et la source de toute autorité déléguée, c’est son Esprit qui distribue les dons et c’est lui qui vit en chacun de ses enfants. Comme le dit Alain Nisus : « l'Eglise n'est ni une autocratie, ni une oligarchie, ni une démocratie, mais une christocratie. »[5] Lui seul détient une autorité absolue sur son corps. C’est pourquoi toute autorité humaine doit être relativisée. Il n’y a pas de pouvoir absolu, monarchique dans l’Eglise. Jésus interdit à ses disciples de se faire appeler père, maître ou directeur. L'autorité du chrétien ne trouve donc son origine qu'en Jésus le Christ, le crucifié ; c'est pourquoi le chrétien s'interdit toute volonté de puissance car la mort est inscrite à l'horizon de la victoire de Christ lui-même.[6] L’autorité du chrétien est à l’image de l’autorité qu’a exercée Christ. L'Esprit de Christ inaugure des temps nouveaux où les serviteurs et les servantes du Seigneur peuvent dans la soumission mutuelle participer pleinement à la vie du corps de Christ.
Mais nous devons nous garder de tout angélisme. Dans l’Eglise comme ailleurs, l’autorité et le pouvoir peuvent être dévoyés. Les Diotrèphe aimant à être les premiers ne manqueront malheureusement jamais (3 Jean 1:9) et chacun doit être en éveil… quant à lui-même ! Comme le dit Jean-François Zorn, l'autorité « demeure un pouvoir dangereux parce que susceptible soit d'idolâtrer l'homme qui s’en saisirait, soit d’aliéner celui qui la suivrait. »[7] La tyrannie n’est jamais loin et on peut ici se référer à une première définition que Pascal en donne : « La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu'on ne peut avoir que par une autre. »[8] Ainsi vouloir imposer son autorité dans un domaine qui dépend d’une autorité déléguée sous prétexte qu’on aurait le charisme correspondant relève d’un esprit tyrannique. Et attendre de quelqu’un qu’il nous reconnaisse automatiquement une autorité spirituelle parce que nous exerçons une tâche qui nous a été attribuée par délégation l’est tout autant.
Extrait de Patrice A., L'Eglise : Autorité, Direction, Ministère Féminin
[1] Alain Nisus, Sept thèses sur l’autorité dans l’Eglise, Cahiers de l’Ecole pastorale n°33, www.ecolepastorale.com [2] Nisus, Sept thèses sur l’autorité dans l’Eglise [3] Jean-François Noble, Autorité ou absence d'autorité des pasteurs, Hokhma n°66, 1997, p.75 [4] Nisus, op.cit. [5] Nisus, op.cit. [6] Jean-François Zorn, L’autorité pour le service, Hokhma n°66, 1997, p.56 [7] Zorn, p.55 [8] Pascal, cité par André Compte-Sponville, Valeur et Vérité, PUF, 1998, p.169
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