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  • Photo du rédacteurPatrice A.

Un autre regard sur Calvin et les femmes dans l’Église.

Dernière mise à jour : 5 janv.


Mur des réformateurs

Dans son livre Women, Freedom, and Calvin, Jane Dempsey Douglass écrit « Je n'ai trouvé jusqu'à présent aucun réformateur autre que Calvin qui inclut spécifiquement le conseil de Paul pour les femmes de se taire dans l'église parmi les adiaphora où l'église devrait être ouverte au changement ».(1) Cet aspect peu connu de la pensée de Calvin sur « les choses indifférentes » (adiaphora) est exposé dans son Institution de la Religion Chrétienne. Au chapitre X du livre 4, Calvin développe une critique des traditions humaines qui asservissent la conscience des fidèles. Nous soulignons en particulier cinq choses dans le développement de Calvin qui jette un éclairage intéressant touchant la parole des femmes dans l’Eglise.

1. L’Eglise doit veiller à ne rien ajouter comme loi qui lie la conscience des fidèles ou fasse croire que la vraie piété (honneur et service de Dieu) serait contenue dans leur observation.

Les règles sont nécessaires afin de préserver les Eglises. Sans elles les Eglises ne subsisteraient pas. Toutefois Calvin mets en garde : « Néanmoins il faut toujours soigneusement prendre garde en de telles observances, qu’elles ne soit estimées nécessaires au salut, pour lier les consciences, ou qu’on n’y constitue l’honneur et le service de Dieu, comme si la vraie piété y était située » (p.192). Calvin, comme les autres réformateurs dans leur polémique contre les « papistes », s’élève contre les prescriptions telles l’obligation de la confession aux prêtres pour obtenir le pardon. Mais il insiste aussi sur les régulations nécessaires à l’ordre dans l’Eglise. Elles sont nécessaires mais ne concernent pas la conscience, il s’agit de la régulation des choses extérieures.

2. Les ordonnances nécessaires à la vie de l’Eglise se résument à deux choses : l’honnêteté et l’ordre

Pour Calvin, s’appuyant sur les paroles de l’apôtre Paul en 1 Corinthiens 14, on peut résumer les ordonnances nécessaires à la vie de l’Eglise en deux notions : honnêteté et ordre qu’il explique ainsi : « Nous tiendrons pour honnêteté ce qui sera réglé de telle sorte pour donner révérence aux saints mystères de Dieu, que le peuple en soit exercé à une dévotion vraiment chrétienne, ou bien que l’acte auquel cela doit servir, en soit orné décemment, et qu’en tout on regarde l’édification, à savoir que les fidèles soient admonestés par ce moyen en quelle modestie, crainte et révérence ils se doivent disposer à servir Dieu. » Et, « Quant à l’ordre, le premier point c’est que les prélats et pasteurs sachent quelle est la règle de bien gouverner, et que le peuple soit exercée à l’obéissance et à la discipline. Le second est d’entretenir l’église en bonne concorde, l‘ayant disposée en bon état ».(p.193) Il est ainsi nécessaire d’avoir « une bonne police, qui ôte confusion, mépris et tout débat ».(p.193)

Pour Calvin, la tenue des femmes (comme le voile sur la tête) vise l’honnêteté, tandis que l’interdiction que l’apôtre leur fait de parler dans l’assemblée vise l’ordre. Honnêteté et ordre ne nous sont pas donnés dans le détail par Dieu car ils dépendent tout deux des circonstances. Ce sont des principes généraux que nous devons appliquer à notre temps comme Paul les a appliqués aux Eglises de son temps. Leur application pourra donc prendre des formes différentes. « Quand à la discipline externe et aux cérémonies, il ne nous a point voulu ordonner en particulier, et comme mot à mot comment il nous faut gouverner, d’autant que cela dépendait de la diversité des temps, et qu’une même forme n’eût pas été propre ni utile à tous les âges. Il nous faut donc avoir recours à ces règles générales que j’ai dites : à savoir que tout se fasse honnêtement et par ordre dans l’Eglise. » (p.195)

3. Les apôtres, et l’apôtre Paul parmi eux, n’ont rien ajouté aux lois de Dieu dans les recommandations et les ordonnances qu’ils ont instituées dans le NT.

On est quelque peu décontenancé par les propos de Calvin quand à la normativité des recommandations des apôtres aux Eglises du Nouveau Testament. Ces recommandation et ordonnances n’étaient rien d’autre qu’une application pour leur situation de la loi de la charité (Actes 15) et le maintient de l’honnêteté et de l’ordre dans l’Eglise (1 Co 11 et 14, 1 Tim 2). Elles ne constituent pas de nouvelles lois pour l’Eglise. Les héritiers de Calvin expliciteront le principe régulateur selon lequel ce qui n’est pas prescrit par la Parole doit être proscrit du culte. Mais la visée semble être bien différente de celle de Calvin qui semble inclure dans ce qui n’est pas prescrit par le Seigneur comme règles immuables… les préceptes que Paul donne aux Eglises quand à l’ordre et la bienséance ! Là où certains voient en 1 Corinthiens 14 une prohibition définitive de la parole publique dans le culte pour les femmes, Calvin lit cette interdiction comme une application (évidente et bien fondée pour lui) des principes de l’ordre et de la bienséance. Ce sont ces principes qui sont des commandements divins et non la forme particulière de la recommandation de Paul.(1)

4. Les paroles de l’apôtre Paul concernant la tenue des femmes (voile) et leur silence dans les assemblées font partie de ses ordonnances qui n‘avaient d’autres buts que de préserver honnêteté (voile) et ordre (silence) dans l’Eglise (2).

Ainsi pour Calvin, les propos de Paul régulant les coutumes des Eglises ne sont pas des lois qui lient les consciences et constituent des règles absolues et immuables. Elles ne visent pas la piété en tant que telle. Elles ne sont pas pour autant indifférentes pour le chrétien. Il n’est pas loisible au chrétien de les appliquer ou pas selon sa propre fantaisie. Une fois établies ces règles doivent êtres observées par le fidèle. Mais il ne doit pas penser qu’il y a là, dans la règle particulière, une valeur spirituelle, un commandement auquel sa conscience serait liée. Ce qui le lie c’est le principe de la soumission aux autorités que Dieu institue dans l’Eglise, l’observation de l’ordre et la recherche de l’honnêteté. Mais ces règles ne constituent pas des ordonnances divines qu’on ne saurait violer sans pécher. « Quoi ? Y a-t-il quelque si grand mystère en la coiffure d’une femme, que ce soit un grand crime de sortir dans la rue nu-tête ? La silence lui est-il tellement commandé, qu’elle ne puisse parler sans grande offense ? (…) Non, certes ! Car si la nécessité de secourir son prochain la pressait, tellement qu’elle n’eût le loisir de se coiffer, elle ne pèche en rien si elle accourt nu-tête pour lui aider ; et l’heure arrive quelquefois, qu’il lui vaudrait mieux parler que de se taire. » (p.195-196)

5. Les Eglises se doivent mutuellement charité dans la diversité des ordonnances qu’elles adoptent en vue de l’honnêteté et de l’ordre dans l’Eglise.

En adoptant des règles visant à préserver l’honnêteté et l’ordre, les Eglises doivent s’adapter aux circonstances dans lesquelles elles sont, notamment les coutumes et les lois de leur pays. La forme extérieure de la vie des Eglises ne pourra donc pas être la même partout. Pour Calvin, cette connaissance « sera cause que nous observerons lesdites choses sans aucune superstition, et que nous ne contraindrons point les autres trop rigoureusement à les observer ; que nous n’estimerons point que le service de Dieu vaut mieux avec une multitude de cérémonies ; qu’une Eglise ne méprisera point l’autre, pour la diversité de la forme extérieure ; finalement qu’en ne nous y établissant point une loi perpétuelle, nous rapporterons à l’édification de l’Eglise toute la fin et l’usage des cérémonies, et que, selon l’exigence de cette édification nous soyons prêts à endurer, non seulement que telle cérémonie soit changée, mais que toutes celles que nous aurions eues auparavant, soient ôtées ou abolies. Car le temps présent nous donne l’expérience certaine que, selon l’opportunité du temps, il est très bon de mettre bas certaines observations, qui de soi n’étaient ni mal convenables, ni méchantes. » (p.198-197)

Conclusion : Calvin et les femmes

  • Que les femmes puissent enseigner dans l’Eglise, et avoir la position de pasteur n’est pas incompatible avec l’enseignement de Calvin dans l’Institution Chrétienne, même si lui-même dans son contexte ne pouvait l’envisager.

On peut en effet douter que Calvin (tout comme Melanchton, Bucer ou d’autres traitant des Adiaphora cf. post à suivre) ait considéré l’enseignement des femmes dans l’Eglise comme une possibilité et puisse être vu comme un féministe (cf. la thèse de Douglass). Si le silence des femmes est « une chose indifférente » au regard du salut et du véritable culte rendu à Dieu, il n’en demeure pas moins que c’est pour lui une évidence fondée sur la « nature » que ce serait renverser l’ordre des choses que de laisser une femme enseigner (cf. son commentaire de 1 Corinthiens 14) (3).

  • Les complémentariens peuvent-ils se prévaloir de l’enseignement de Calvin alors que celui-ci dénonce et condamne fermement ceux qui lient les consciences à partir d’ordonnances qui ne visent en réalité que la forme extérieure de la vie chrétienne ?

Loin d’accepter le fait que la prise de parole ou non des femmes dans l’assemblée relève de la discipline externe et des cérémonies, les complémentariens veulent généralement en faire un critère de fidélité aux Ecritures et ultimement à Dieu. Là où Calvin analyse l’apôtre Paul, qui en bon pasteur instruit avec sagesse les Eglises dont il a la charge, les complémentariens décontextualisent son propos pour les poser comme des absolus destinés à être appliqués comme une nouvelle loi divine (4). Ce faisant ne font-ils pas ce que Calvin reproche aux Catholiques et appelle « superstition » : croire que l’observation des règles communes que les Eglises établissent à bon droit constituent « le service de Dieu », la vraie piété ?

On pourrait dire que dans une perspective calvinienne, les Eglises qui limitent l’accès des femmes à certaines fonctions ne devraient pas poser cette règle comme un commandement divin mais comme une règle qu’elles adoptent pour le temps présent. Autrement elles courent le risque de confondre la régulation extérieure, nécessaire à la vie des communautés, avec ce qui constitue le véritable culte rendu à Dieu.


Notes :

*Les références de pages pour l’Institution chrétienne sont de l’édition kerygma/Farel, 1978.


(1) Jane Dempsey Douglass, Women, Freedom, and Calvin, Westminster Press, 1985, p.106. En réalité Calvin n’est pas seul à avoir cette position. On la retrouve dans une lettre adressée à Melanchton en 1549 par les pasteurs de Hambourg. J’en parlerai dans un prochain post.


(2) cf. J.D. Douglass et pour une présentation plus nuancée John Lee Thompson, John Calvin and the Daughters of Sarah, Librairie Droz, 1992, Genève.

(3) Son principal argument est que si les femmes sont dans un statut de soumission vis-à-vis de leur mari il serait inconcevable qu’elles puissent être en position d’autorité vis-à-vis d’eux dans l’Eglise. C’est sa conception du couple qui dicte pour l’essentiel l’organisation de l’Eglise, qui elle ne repose pas sur des commandements positifs spécifiques de Dieu, sinon ceux de charité, d’honnêteté et d’ordre. Dans notre contexte, quand bien même on partagerait la conception de Calvin quand au mariage (ce qui n’est pas le cas de l’auteur de ce blog) rien n’oblige de tirer les mêmes conclusions que lui quant à l’organisation de l’Eglise…


(4) In fine, c’est bien la question herméneutique qui fait débat. Les communautariens lisent-ils la Bible de la même manière que Calvin ?

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